En Iran, des manifestations populaires appellent au renversement du régime

Nous reproduisons ici la traduction d’un texte d’une militante iranienne paru le 19 Novembre sur son blog, qui nous apporte un éclairage bienvenu sur la situation en Iran, après le black-out médiatique imposé par le régime et qui a permis de faire taire le meurtre de plusieurs centaines de personnes au cours du mouvement de contestation du mois dernier.

Il aura fallu que le peuple se soulève en Irak et au Liban, après le Soudan et l’Algérie, pour que les masses iraniennes, particulièrement les jeunes, les chômeurs et les étudiants, aient le courage de descendre massivement dans la rue, et ce pour la première fois depuis le soulèvement de décembre 2017 – janvier 2018, afin de demander la fin de la République Islamiste.

Ces manifestations nationales ont été déclenchées par l’annonce d’une augmentation du prix de l’essence de 300% le vendredi 15 novembre. C’est une augmentation colossale pour la plupart des Iraniens qui sont déjà tombés dans une pauvreté extrême à cause du coût des interventions militaires et politiques de l’Iran dans la région, des programmes nucléaire et balistique menés par le régime et des sévères sanctions économiques imposées par les USA.

Depuis vendredi 15 novembre, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans 22 des 31 provinces du pays, soit 100 villes et quelques zones rurales. La police anti-émeute et les forces de sécurité [l’armée et les Gardiens de la Révolution, ndlr] s’opposent violemment aux manifestants. Amnesty International dénombre plus d’une centaine de morts [en réalité plus de 200 nldr], des centaines de personnes ont été blessées et plus d’un millier arrêtées. Des tireurs d’élite tuent les manifestants depuis les toits, visant directement la tête. Des hélicoptères de combat sont également utilisés pour tirer sur les manifestants.

Des commissariats, banques, quelques séminaires religieux et de nombreuses affiches de l’Ayatollah Ali Khamenei ont été incendiées. Les manifestants bloquent les routes. On entend des slogans comme « l’essence est de plus en plus chère et les pauvres de plus en plus pauvres », « Khamenei est un assassin. La fin de son règne arrive », « Mort au Dictateur », « Mort au gouvernement de démagogues ». Certains membres du parlement ont même démissionné en signe de protestation.

A Eslamshar, près de Téhéran, le 17 novembre 2019

Les manifestations ont débuté dans la ville d’Azaz de la province du Khuzestan la semaine dernière suite à la mort d’un poète dissident, Hassan Heydari, peu de temps après sa sortie de prison. Le Khuzestan, qui est une province productrice de pétrole, possède une forte population arabe. Elle est le foyer de puissantes luttes ouvrières et subit des problèmes environnementaux majeurs liés à la pollution pétrolière, à la sécheresse et aux inondations causées par la construction de barrages. Les populations arabes du Khuzestan ont également protesté contre les discriminations et les exécutions sommaires de militants et écrivains de la société civile l’année dernière.

Les dernières informations venant du Khuzestan indiquent que « le régime iranien a pris pour cible des manifestants sans armes dans les villes de Koura (Chamarn en farsi), et de Jarahi (Shahrak-e Manku en farsi), dans la région de Ahwaz. Les forces du régime ont utilisé des mitrailleuses lourdes contre des manifestants non armés et ont assiégé les deux villes avec des chars d’assaut, tuant au moins 20 manifestants ahwazis, dont des femmes, tous civils et non armés. Lors de ce bain de sang, de violents affrontements ont eu lieu dans le quartier de Tanida, dans la ville de Jarahi, entre des manifestants armés uniquement de pierres et de bâtons, et des militaires lourdement armés du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), assistés d’hommes de main Basij en civil et de miliciens irakiens des unités de mobilisation populaire (Hashd al Shaabi). Tous armés eux aussi par le régime, de mitrailleuses entre autre ».

D’autres manifestations intenses ont eu lieu à Shiraz et à Kermanshah, une province à majorité kurde. Certains quartiers de Kermanshah avaient été endommagés par un tremblement de terre en novembre 2017 et ne s’en sont toujours pas encore remis en raison du manque d’aides du gouvernement dans la reconstruction des infrastructures. Deux ans après, les victimes du tremblement de terre vivent toujours sous des tentes.

Face à ces manifestations, Khamenei a déclaré que le peuple devait se serrer la ceinture et accepter la hausse du prix de l’essence. Il a traité les manifestants de « voyous malfaisants » manipulés par l’étranger. Le gouvernement a coupé Internet, rendant presque impossible l’obtention d’informations depuis l’Iran. La journaliste socialiste iranienne, militante des droits des femmes et des travailleurs, Sepideh Gholian, récemment libérée temporairement après avoir payé une lourde caution, a été arrêtée à nouveau. Saha Mortezai, une doctorante iranienne en sciences politiques, a également été arrêtée de nouveau ainsi que d’autres étudiants.

Dessin de Kianoush

Les forces de sécurité attaquent les manifestations étudiantes sur le campus de l’Université de Téhéran en ce moment même [19 novembre]. Les portes de l’université ont été fermées pour empêcher leur fuite et faciliter ces attaques. Cependant, les manifestants sont parvenus à prendre le contrôle de certains quartiers aux forces de sécurité et à la police, à Téhéran et dans d’autres villes.

Des manifestations et actions de travailleurs ont eu lieu fréquemment ces deux dernières années, conduisant à l’arrestation d’ouvriers, d’enseignants et de militants syndicaux, souvent libérés temporairement sous une lourde caution. Ces mouvements revendiquaient jusqu’ici l’obtention des salaires non-payés, et s’opposaient aux « privatisations » des entreprises d’Etat. Il reste à voir s’ils évolueront vers un appel à la grève générale et à une opposition frontale à l’Etat.

Il est crucial que les Iraniens expriment leur solidarité avec les soulèvements populaires, principalement de la jeunesse, ayant lieu dans la région et le monde entier. Les manifestants irakiens et libanais réclament la chute de leurs gouvernements autoritaires, sectaires et corrompus. Ces gouvernements sont fortement influencés par le Hezbollah au Liban et directement contrôlés par l’Iran via le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (IRGC) et les milices chiites en Irak. Un rapport publié dans le New York Times, basé sur des fuites concernant l’ingérence iranienne en Irak, montre le rôle central de Quassem Soleimani de l’IRGC en Irak. Il révèle également le niveau d’implication de l’Iran et de ses milices chiites dans la nomination des membres du gouvernement irakien et leur politique ainsi que dans la répression des mouvement populaires en Irak. Il prouve aussi que l’invasion américaine de 2003 a joué un rôle majeur dans la montée de l’influence iranienne en Irak.

Bien qu’elle dise soutenir les manifestants, l’administration Trump a montré son inhumanité et sa dureté envers les masses Iraniennes par des menaces de conflits et de sévères sanctions. Trump est allié à des dirigeants autoritaires comme Erdogan, Ben Salman, Netanyahu, Assad et Poutine et ne se soucie ni des Kurdes et Arabes syriens luttant contre Assad et les fondamentalistes, ni des Palestiniens qui tout comme les Kurdes demandent l’auto-détermination nationale, ni des femmes afghanes luttant contre les Talibans. Il n’a fait que pousser à l’extrême l’inhumanité et la brutalité de l’impérialisme des administrations précédentes.

Le régime iranien espère que la Chine le sortira de la faillite pour devenir un capitalisme d’État militarisé efficace, à son image. Récemment, l’Iran a signé un accord avec la Chine qui octroie au régime iranien 400 millions de dollars sous la forme d’investissements dans le pétrole, le gaz et dans les infrastructures, ainsi que l’envoi de 5 000 membres des forces de sécurité chinoises en échange de la vente de pétrole au tiers du prix de marché. La Chine considère l’Iran comme un lieu stratégique d’où elle peut étendre son hégémonie dans la région. La solidarité avec les manifestations de Hong Kong contre l’autoritarisme du gouvernement chinois et avec les luttes ouvrières, les prisonniers politiques, les défenseurs des droits des femmes et de l’environnement en Chine continentale est donc absolument nécessaire pour les Iraniens.

Il est également important que les militants syndicaux, féministes et les jeunes du monde entier expriment leur solidarité avec les manifestations populaires en Iran et leurs revendications contre le régime. Malheureusement, des « socialistes » aux USA et ailleurs ont pris le parti du régime et se sont rendus en Iran pour rencontrer le ministre des affaires étrangères Zarif et le féliciter, au lieu de chercher à rencontrer les opposants et demander la libération des prisonniers politiques. Il est très délicat pour les militants socialistes, en Iran ou en exil, de promouvoir le socialisme comme alternative crédible lorsque certains militants ignorent activement la solidarité avec les manifestations iraniennes ou se rangent au côté du régime iranien au nom d’un prétendu « anti-impérialisme ».

Nous sommes dans une phase critique de l’histoire mondiale. La profondeur des crises et l’inhumanité du capitalisme poussent les gens dans la rue, dans le monde entier, pour s’opposer à la pauvreté et à la répression. Nous avons besoin d’actions de solidarité pour lier les luttes ouvrières, féministes, antiracistes et environnementales des pays dans lesquels nous vivons à celles du Moyen-Orient, d’Afrique du nord, de la Chine, du Chili, d’Haïti et au-delà. Nous devons nous opposer à la fois au néolibéralisme et aux modèles capitalistes étatiques comme ceux de la Chine ou de l’Iran.

Frieda Afary, 19 novembre 2019

Voir cette brochure pour une campagne de solidarité avec les féministes prisonnières politiques dans la région de MENA : https://www.allianceofmesocialists.org/campaign-in-solidarity-with-feminist-political-prisoners-in-the-middle-east-and-north-africa/

Pour précommander le journal papier d’Agitations et nous aider à faire vivre notre site, notre cagnotte est toujours en ligne !

https://www.helloasso.com/associations/agitations/collectes/revue-papier-agitations

1 commentaire

  1. incroyable! cette propagande pour  » Moudjahidin du peuple » qui est ajoutée à l’article dans cette traduction en français, est purement une contre-vérité. les étudiants contestataires n’ont absolument pas lancé des slogans en faveur de cette organisation mafieuse. bien au contraire, ils ont dénoncé explicitement des tentatives de récupération de la par de cette organisation mais aussi des royalistes. ne vous laissez pas abuser par ces propagandes idéologiques.

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