Ecologie du feu et apocalypse : la seconde nature de Californie

Dans cet article initialement paru dans l’hebdomadaire The Nation suivi d’un entretien donné pour la revue américaine Jacobin (paru en 2018), le géographe marxiste Mike Davis spécialiste de l’urbanisme et des rapports de classe et de race en Californie revient sur les épisodes d’incendie qui ont ravagé plusieurs villes californiennes ces dernières années. Il décrit ici comment l’évolution de l’immobilier et de l’habitat, des villes vers l’arrière-pays, influe sur l’écosystème de la région, constituant ce qu’il décrit comme une nouvelle « écologie du feu » avec des épisodes comparables à un hiver nucléaire.

L’écosystème désertique de la Californie ne résistera pas aux incendies

Dans Encore un peu de verdure, un roman de science-fiction se déroulant à Los Angeles, publié en 1947 par Ward Moore (un écrivain progressiste), le personnage principal du scientifique fou est en l’occurrence une savante, Josephine Francis. Elle embauche Albert Weemer, un colporteur fauché, disposant de « tous les instincts du cafard », pour l’aider à promouvoir sa découverte : un composé chimique appelé « Metamorphosant » capable d’améliorer la croissance des plantes et leur permettre de prospérer sur des sols rocheux et stériles. Elle rêve de mettre un terme à la faim dans le monde par l’accroissement massif de la gamme des céréales. Weemer, peu versé dans les sciences, ne songe qu’à se faire rapidement du blé en vendant le produit au porte-à-porte comme traitement pour gazon. Francis, qui a désespérément besoin de fonds pour poursuivre ses recherches, accepte à contrecœur et Weemer s’en va arpenter les pelouses jaunies qui jalonnent les zones pavillonnaires décaties.

À sa grande surprise, le traitement, qui modifie génétiquement les plantes, marche bien — trop bien, même. Dans le jardin de la famille Dinkman, la mauvaise herbe se transforme en cauchemardesque « herbe-du-diable », résistante à la tonte comme aux désherbants, et commence à se répandre dans toute la ville. « Elle se recroquevillait, se tordait, comme torturée, puis reprenait vie […] Elle engloutissait tout sur son passage, comblait une tranchée ouverte dans l’avenue, avalait des bosquets, un muret. » Elle continue à grignoter trottoirs et maisons pour finalement engloutir la ville : une nouvelle nature monstrueuse qui rampe vers Bethléem 1 .

Encore un peu de verdure est tout à la fois comique et légèrement dérangeant. Ses prémisses absurdes sont pourtant bel et bien en passe d’être concrétisées par le réchauffement climatique : en fait, l’herbe-du-diable n’est autre que le brome, une tribu de plantes invasives impossibles à éradiquer qu’on désigne en anglais sous les qualificatifs peu flatteurs de « brome éviscérant », d’« herbe à triche » et de « faux brome ». Originaires de Méditerranée et du Moyen-Orient, certaines de ces espèces sont présentes en Californie depuis la « Ruée vers l’or », lorsque le surpâturage a permis le développement agressif des bromes et de l’avoine européenne face aux espèces indigènes. Mais aujourd’hui, c’est le feu et l’étalement « exurbain » qui leur servent de « Metamorphosant », tandis qu’elles colonisent et détériorent les écosystèmes aux quatre coins de l’État.

Le parc national de Joshua Tree submergé par les flammes près de la ville de Yucca Valley

Le désert du Mojave oriental en est un exemple sinistre. Sur la route qui conduit de Los Angeles à Las Vegas, à 20 minutes de la frontière de l’État, la bretelle de la I-15 débouche sur une deux-voies appelée Clima Road. C’est l’entrée discrète de l’une des plus fantastiques forêts d’Amérique du Nord : sur des kilomètres, une succession sans fin d’arbres de Josué recouvre un ensemble de petits volcans du Pléistocène, le Clima Dome. Les maîtres de cette forêt mesurent plus de 13 mètres de haut et sont vieux de plusieurs siècles. À la mi-août, on estime que 1,3 million de ces incroyables yuccas géants ont péri dans l’incendie du dôme, déclenché par la foudre.

Ce n’est pas la première fois que le désert du Mojave oriental brûle. En 2005, un mégafeu a consumé un million d’hectares de désert, en épargnant toutefois le dôme, cœur de la forêt. Au cours de la dernière génération, une invasion de bromes de Madrid a généré un sous-bois inflammable pour les arbres de Josué et a fait du Mojave une écologie du feu (dans le Grand Bassin, c’est l’invasif brome des toits qui joue ce rôle depuis des décennies).

Les plantes du désert, à l’inverse du chaparral et des chênes de Californie, ne sont pas adaptées au feu, ce qui rend leur régénération potentiellement impossible. Debra Hughson, scientifique en charge de la réserve nationale du Mojave, a décrit l’incendie comme un cas d’extinction de masse. « Les arbres de Josué sont hautement inflammables. Ils vont mourir et ne repousseront pas. »

Nos déserts livrés aux flammes expriment localement une tendance mondiale. La végétation méditerranéenne a évolué en coexistant avec le feu : de fait, les chênes et la plupart des plantes du chaparral ont besoin de feux épisodiques pour se reproduire. Mais les incendies extrêmes dont la Grèce, l’Espagne, l’Australie ou la Californie sont devenus routiniers l’emportent désormais sur ces adaptations héritières de l’Holocène [ndt : époque géologique s’étendant sur les 10 000 dernières années, toujours en cours de nos jours] et produisent des changements irréversibles de la faune et de la flore.

Bien que l’Australie soit un prétendant sérieux, c’est la Californie qui illustre le mieux ce cercle vicieux où l’extrême chaleur conduit à des incendies extrêmes fréquents qui à leur tour empêchent la régénération naturelle — et, aidés par les maladies des arbres, accélèrent la conversion de ces paysages emblématiques en prairies clairsemées et en versants montagneux dénués de tout arbre. Et avec la disparition de flore indigène, évidemment, la faune indigène prend le même chemin.

Au début de ce siècle, les responsables de la gestion des eaux et les autorités de lutte contre les incendies se concentraient principalement sur les menaces de sécheresses pluriannuelles causées par l’intensification des phénomènes de « La Niña » et la persistance tenace des dômes de chaleur — deux phénomènes attribuables au réchauffement climatique, d’origine humaine. Leurs pires craintes se sont vérifiées lors de la grande sécheresse de la dernière décennie, peut-être la plus sévère des 500 dernières années, qui a causé la mort de près de 150 millions d’arbres, infectés par des scolytes, arbres qui ont par la suite fourni la masse combustible pour les incendies de 2017-2018.

L’hécatombe de pins et de conifères s’est accompagnée d’une pandémie fongique à croissance exponentielle, connue sous le nom de « mort subite du chêne », responsable de la disparition de millions de chênes verts et de chênes à tan dans les chaînes côtières d’Oregon et de Californie. Comme les chênes à tan, en particulier, poussent dans des forêts mixtes, aux côtés de sapins de Douglas, de séquoias et de pins jaunes, il faut envisager leurs carcasses mortes comme autant de millions de barils d’essence dans les incendies en cours des montagnes côtières et des contreforts de la Sierra.

Outre la sécheresse ordinaire, les scientifiques parlent désormais de « sécheresse chaude », un nouveau phénomène. Même au cours des années du XXe siècle où le niveau des précipitations atteint la moyenne, l’extrême chaleur estivale, notre nouvelle normalité, entraîne des stress hydriques importants par évaporation des réservoirs, des ruisseaux et des rivières. En ce qui concerne la dernière section du fleuve Colorado, véritable artère pour la Californie du Sud, on estime que la baisse de son débit actuel devrait atteindre le chiffre impressionnant de 20 % en quelques décennies, que les précipitations diminuent ou pas.

Mais l’impact le plus dévastateur de ces températures dignes de la Vallée de la Mort (il faisait près de 50°C dans la Vallée de San Fernando, il y a quelques semaines de cela) est l’assèchement des sols et des plantes. Un hiver humide et un printemps précoce nous enchantent peut-être avec leurs étalages luxuriants de plantes à fleurs, mais ils engendrent également une surabondance de mauvaises herbes et de plantes herbacées (phorbes), qui une fois cuites dans nos hauts-fourneaux estivaux se changent en véritables allume-feux lorsque reviennent les vents diaboliques.

Les bromes et autres herbes exotiques sont les principaux sous-produits et catalyseurs de ce nouveau régime du feu. Des années de recherches sur des parcelles expérimentales, sur lesquelles les scientifiques brûlent différents types de végétation et étudient leur comportement face aux flammes, ont confirmé cet avantage darwinien. Leur combustion produit une température deux fois plus élevée que la couverture végétale herbacée, provoquant l’évaporation des nutriments des sols et entravant ainsi le renouvellement des espèces indigènes. Les bromes prospèrent également grâce à la pollution atmosphérique et parviennent à s’accommoder de niveaux atmosphériques de dioxyde de carbone plus élevés que la plupart des plantes — des avantages évolutionnaires considérables dans la lutte actuelle entre écosystèmes.

Un groupe de recherche du College of Forestry, basé dans l’Oregon, qui étudie les invasions de plantes herbacées dans les forêts de la côte Ouest, un sujet jusque là négligé, a lancé un cri d’alerte au début de l’année : une fois la boucle de rétroaction du feu bien enclenchée, elle devient une « tempête parfaite ». Comme l’herbe-du-diable de Weemer, les envahisseurs défient la volonté humaine. « Les mesures de gestion forestière, telles que les débroussaillages et les feux contrôlés, conçues pour atténuer la menace des feux de forêts, risquent également d’accélérer l’invasion des plantes herbacées et augmenter les combustibles disponibles, avec des conséquences potentielles à l’échelle du paysage qui demeurent largement sous-estimées. » Seul un effort constant pour éliminer la biomasse herbacée — nécessitant une importante armée de travailleurs forestiers à plein temps et la totale coopération des propriétaires terriens — pourrait, théoriquement, retarder l’apocalypse des mauvaises herbes.

Cela nécessiterait en outre un moratoire sur les nouvelles constructions et les reconstructions après incendies dans les forêts concernées. La majorité des nouveaux logements en Californie ont été construits au cours des 20 dernières années dans des zones à haut risque d’incendie, une démarche rentable mais insensée. L’« exurbanisation », en grande partie due à la « fuite des Blancs » (white flight) hors des zones de Californie à forte diversité raciale, favorise partout la contre-révolution botanique. Mais ses habitants n’aperçoivent pas les mauvaises herbes que cache la forêt.

Comment envisager ce qui est en train de se passer ? À la fin des années 1940, les ruines de Berlin sont devenues un laboratoire pour les scientifiques où étudier la reproduction des plantes après trois années de bombardement. Ils s’attendaient à ce que la végétation d’origine dans la région ­— les forêts de chênes et leurs arbrisseaux — se régénère rapidement. À leur grand dam, ce ne fut pas le cas. Au lieu de quoi, des plantes exotiques se sont échappées, pour certaines de jardins botaniques, et se sont installées comme nouvelles espèces dominantes.

Les botanistes ont poursuivi leurs études jusqu’au nettoyage des dernières zones bombardées, dans les années 1980. La persistance de cette végétation de zone morte et l’échec des plantes des forêts de Poméranie à se réintroduire ont provoqué un débat autour de la « Nature II ». La thèse était que l’extrême chaleur des incendies et la pulvérisation des structures en brique avaient engendré un nouveau type de sol favorable à la colonisation des plantes sauvages telles que l’ailante (Ailanthus), qui avaient évolué sur les moraines des calottes glaciaires du Pléistocène. Une guerre nucléaire totale, déclaraient ces mêmes scientifiques, pourrait reproduire de telles conditions à grande échelle (à ce sujet, voir mon livre Dead Cities).

Le feu, à l’ère de l’Anthropocène, est devenu l’équivalent physique de la guerre atomique. Au lendemain des incendies du Samedi Noir [Black Saturday] de Victoria, début 2009, des chercheurs australiens ont évalué l’énergie libérée, égale à la détonation de 1500 bombes d’Hiroshima. Une énergie encore plus considérable a fait naître les panaches de pyrocumulus qui, pendant plusieurs semaines, ont dominé le ciel du nord de la Californie. Le brouillard orange et toxique qui a recouvert la baie de San Francisco durant des semaines n’est autre que notre version locale de l’hiver nucléaire.

Une nouvelle nature, profondément sinistre, émerge à toute vitesse des décombres laissés par les flammes, au détriment de paysages considérés autrefois comme sacrés. Notre imagination peine à saisir le rythme et l’ampleur de la catastrophe.


Laisser brûler Malibu

MALIBU, Californie: Environ 75 000 domiciles ont dû être évacué dans les Comtés de Los Angels et Ventura à cause de deux incendies dans la région. (09.11.2020)

Suzi Weissman: Revenons sur l’histoire de ces deux incendies. Comment les comparez-vous ?

Mike Davis : Paradise compte environ 27 000 habitants, Malibu, moitié moins. Si vous consultez le site du Bureau américain de recensement, vous constatez que ces deux villes ont une chose en commun : ce sont des communautés vieillissantes, avec deux fois plus de personnes âgées de plus de 65 ans [que la valeur médiane pour l’État de Californie].

Sans cela, on pourrait difficilement trouver deux communautés aussi différentes. À Paradise, la valeur moyenne d’une maison est de 200 000 dollars, le montant le plus abordable qu’on peut trouver en Californie, de nos jours. À Malibu, ce chiffre est multiplié par 10. Les revenus des habitants de Malibu sont quatre à cinq fois plus importants que ceux de Paradise. Paradise se distingue également par une spécificité particulièrement inhabituelle, à savoir le nombre considérable de personnes en situation de handicap. Un cinquième de la population de moins de 65 ans souffre d’un handicap.

En d’autres termes, on a là l’image d’un groupe d’habitants qui y ont pris leur retraite en raison du logement bon marché ou qui ont été forcés de quitter les villes de la baie de San Fransico ou de la Valley à cause des prix de l’immobilier. Mais il y a également un nombre important de personnes en maisons de repos ou qui sont dans une quelconque situation de handicap — ce qui représente un important groupe de personnes plus vulnérables face aux incendies et plus difficiles à évacuer.

L’histoire de ces deux incendies est donc l’histoire de deux Californies : l’une riche, le long de la côte, l’autre ouvrière, dans les contreforts de la Sierra.

Sur une échelle plus large, les habitants de Paradise rejoignent la cohorte mondiale de ceux qui se sont retrouvés sans abri ou déplacés par les catastrophes environnementales, au premier rang desquelles la sécheresse. Gardons à l’esprit que la sécheresse a ravagé l’Amérique centrale au cours de la dernière décennie et que les maladies végétales ont anéanti les cultures de café au Honduras. De nombreuses personnes en provenance d’Amérique centrale fuient, non seulement la violence, mais aussi le réchauffement climatique. Ils tentent d’échapper au désastre environnemental.

Dans le contexte historique étasunien, on pourrait dire que le Dust Bowl réapparait sous le nom de Fire Bowl.

SW : Revenons maintenant sur ce dont vous avez commencé à parler ­— la nouvelle normalité, ou plutôt, la nouvelle situation climatique.

MD : Il est crucial de faire une distinction entre (et pardonnez-moi la froideur de l’expression) ce qu’on pourrait appeler les « feux normaux » — à savoir, suivant des fréquences observées avant le réchauffement climatique, voire même l’urbanisation — et l’intensification des scénarios habituels d’incendies sous l’effet d’une sécheresse exceptionnelle et des records de chaleur estivale.

Malibu et Paradise se trouvent toutes deux dans des régions qui s’embrasent à une fréquence « naturelle », ou « normale », très élevée. De mon vivant, depuis le grand incendie de 1956, il y a eu dix incendies majeurs à Malibu. Dans les contreforts de la Sierra, en particulier dans les hauteurs au-dessus de Chico et d’autres villes de la Valley, ces incendies se déclarent tous les dix ans.

La région de Paradise a connu neuf incendies majeurs au cours de ce siècle. Durant l’été 2008, certaines parties de la ville ont été évacuées à deux reprises, en juin et juillet, en raison de la progression des feux. La population avait alors récemment augmenté. Les responsables du comté de Butte pour la lutte contre les incendies ont constaté qu’ils avaient un grave problème avec cette population grandissante : les routes étaient encombrées, les gens avaient des difficultés à quitter la ville et les personnes immobilisées et handicapées devaient être déplacées.

Dans les deux cas, et même en l’absence de réchauffement climatique, la fréquence des incendies est très élevée.

Mais le second ensemble de facteurs à prendre en compte est que la sécheresse exceptionnelle et la chaleur estivale extrême — chaleur qui, même au cours d’une année pluvieuse, assèche les sols et les plantes — ont intensifié les scénarios normaux d’incendies. Les feux sont plus étendus et se propagent plus rapidement. Nous avons vu, au XXIe siècle, les sept plus grands incendies de l’histoire californienne.

La raison pour laquelle il est crucial de faire cette distinction entre fréquence naturelle et intensification due au réchauffement climatique est que — en particulier dans les discours du gouverneur Brown, mais également ceux d’autres responsables — on ne cesse d’entendre l’explication selon laquelle le réchauffement est la cause des incendies, mais que la Californie montre la voie et réduit ses émissions carbonées.

C’est un syllogisme fallacieux, une façon de ne pas affronter politiquement le problème le plus épineux de tous, à savoir le fait que la construction non réglementée dans les couloirs d’incendie a drastiquement augmenté les risques de feux. La moitié des maisons construites en Californie ces vingt dernières années l’ont été au milieu de ce que les scientifiques appellent l’interface entre espace forestier et urbain (ou suburbain), ou au cœur même des forêts et des montagnes.

Et donc, comme sur la côte Est, où il y a eu cet immense boom de l’immobilier dans les comtés frappés par d’importants ouragans, parce que les gens veulent vivre en bord de mer, nous avons bâti la moitié de nos nouvelles maisons dans les zones qui connaissent une fréquence d’incendie semblable à celles de Paradise ou de Malibu. 

Vue aérienne d’un quartier de Paradise après l’épisode du Camp Fire de 2018

SW : Cela nous ramène à ce que vous avez affirmé il y a plus de vingt ans, dans « Laisser brûler Malibu ». Il semble que votre thèse a trouvé confirmation et est aujourd’hui irréfutable. Pourtant, nous voyons des gens qui promettent de reconstruire sur les mêmes emplacements.

MD : Quand vous dites que la suite m’a donné raison, c’est quelque peu mensonger, parce que le feu à Malibu n’est qu’une simple réalité. Nulle part en Californie, et peut-être sur toute la côte Ouest, les incendies ne sont aussi fréquents.

Lorsque les gens ordinaires achètent ou font construire une maison, soit ils connaissent bien leur quartier, soit ils étudient les environs, le voisinage. Le voisinage, à Malibu, c’est le feu et certains de ces habitants ont vécu dans trois ou quatre maisons successives, à cause des incendies. D’un côté, on ne peut qu’avoir de la compassion pour tous ceux qui ont été déplacés par les feux, mais on doit aussi s’interroger sur cette violation flagrante et continuelle du sens commun — reconstruire là où les incendies sont inévitables.

Il faut donc mettre un terme cette fausse croyance selon laquelle il existe une quelconque solution au problème des feux, que ce soit à l’échelle individuelle ou par l’intermédiaire de plans de préparation des collectivités. Il faut réduire l’empreinte humaine.

En réalité, il y a beaucoup d’espace pour la construction de logements. Ce n’est pas que nous en manquions. C’est que le marché immobilier privé dicte la forme de nos villes, où nous vivons, oblige les gens ordinaires à s’éloigner de plus en plus de la côte.

Le feu, en particulier lorsqu’il se déclare dans des zones plus aisées, entretient également la gentrification. La reconstruction favorise des maisons plus grandes et plus chères, tandis que les parcs de caravanes et les maisons qui n’avaient pas d’assurance incendie suffisante, faute de moyens financiers, sont déplacés.

C’est un système politico-économique irrationnel qui ignore complètement la nature, le changement climatique et continue à construire des maisons et des villes entières qui seront inévitablement consumées par les flammes.

SW : Pendant que vous parliez, je me disais que la chose la plus simple et faisable serait de socialiser Edison et PG&E [Pacific Gas and Electric] de Californie du Sud et de réinvestir leurs profits dans de bonnes infrastructures. Mais ce n’est pas suffisant.

MD : La société PG&E est proche de la faillite et la valeur de ses actions a chuté de moitié, elle pourrait donc devenir entreprise de service public.

Mais, là encore, tout comme pour les régions où les très récents incendies auraient dû conduire à des mesures décisives, qu’en est-il de la réglementation des services publics au cours des vingt dernières années ? L’incendie de San Diego, en 2007, a été causé par la chute de lignes électriques — pourquoi n’a-t-on rien fait ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’audience à ce sujet à la législature de Californie ? Qui supervise la Commission d’utilité publique ?

Maintenant que les démocrates disposent d’une supermajorité à Sacramento, toutes ces questions leur incombent.

SW : Pour conclure rapidement, pourriez-vous nous parler de ceux qui combattent ces incendies ?

MD : En raison, notamment, de l’incapacité des contribuables à élargir les services d’incendie d’État et des comtés, une grande partie de la lutte contre les incendies repose sur les détenus. Et ils sont confrontés chaque jour à des dangers extrêmes.

J’ai fait circuler une proposition, dans l’espoir de trouver quelqu’un qui ait une tribune suffisante pour la faire vraiment avancer : nous devrions demander au gouverneur Brown de récompenser ces héros invisibles, en réduisant leur peine et même en graciant ces personnes.

Malgré toute leur expérience dans la lutte contre les feux, presque aucun détenu, une fois sorti, n’est en mesure de trouver un emploi de pompier. C’est tout à fait scandaleux — ces personnes se sont réhabilitées de la manière la plus sociale, la plus importante et la plus dramatique qui sont.

Tout le monde dit que les pompiers sont des héros, etc., mais on ne prête pas attention à ceux qui combattent réellement les incendies.

Mike Davis


1. Référence au poème de Yeats, « The Second Coming » : « And what rough beast, its hour come round at last, Slouches towards Bethlehem to be born?

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